MAUVAISES HERBES

Publié le par xavier





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Thrène d'octobre
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Qu'il est difficile d'admettre que ce monde,
qui nous passionne tant, ne nous est que prêté !
Ou peut-être est-ce nous qui lui sommes prêtés,
pour quelque jeux obscurs d'un maître des étoiles ?
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Déjà je sens mes os craquer comme bois mort
lorsque je marche en hésitant sur les couleurs
des mosaïques de l'automne, avec le vent,
invisible serpent, sifflant à mes oreilles.
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Je repense à ma jeunesse, à la gloire des Césars
que je vivais par l'éternel récit de Virgile ou Tacite.
Mon avenir alors s'égarait en de lointaines brumes :
octobre en tire aujourd'hui le rideau devant moi.

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La cendre des urnes
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Corps blessé, pays blessé, époque blessée
écrivait autrefois Stratis-le-Marin, celui
qui méditait parmi les agapanthes secouant
leurs petites mains bleues de bébés d'Arabie...
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Il rêvait aux fleurs comme à des micros
grâce auxquels questionner les morts enfouis
dans le terreau du silence. Ou encore aux traces
de pattes d'oies criant dans la nuit du Capitole !
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Rien ne restera, le temps ne guérit rien ! Le temps
entaille les ruines, ride les corps, de ses serres
imperceptibles comme l'oubli. Bientôt la poudre
du chemin et la cendre de mes os ensemble
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voleront au vent de l'inaltérable solitude marine.
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Face à la mer
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Sur le balcon face à la mer, en regardant les flots méchés
de blanche écume, je remplis les mots fléchés du journal
du dimanche. En bas, les cris surpeuplés de la plage d’août.
Cinglant vers l’horizon, les triangles obliques des petits voiliers…
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L’heure est tiède, le soleil déjà de l’autre côté de l’immeuble
tire de longues ombres sur le cap. Sur la crête, un château
brille un court moment de toutes ses fenêtres puis s’éteint.
Aux mâts du port de plaisance ensemble claquent les drapeaux…
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Dans l’espace bleu de libres oiseaux jouent avec leur vertige.
L’atmosphère est si claire que demain sans doute paraîtrra
le profil brun-rouge de la Corse, juste avant le lever du soleil :
tu viendras voir, curieuse, en tenue d’Ève, – et je te gronderai !
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(Août 2004),



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À l'Ezra futur
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Simple comme bonjour tel un errant nuage
tu me verras parmi la turbulence des oiseaux
revenir dans tes pensées, lorsque tes songes
te feront soudain lever les yeux vers l'infini.
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L'image d'êtres humains merveilleux glissera
tour à tour comme défilé de diapositives
sur l'horizon. Tu seras nostalgique de tes
disparus, et des risées de tes aurores natales.
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Par le poème l'univers te sera bienveillant.
La fraîcheur du vent se froissera sur ta face
comme cascade ruisselant autour du saumon
qui fait retour vers la transparence originelle.
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Vent ensoleillé...
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Vent ensoleillé dans le tulle des rideaux,
on dirait qu'un ange est en visite !
Le ficus dans le recoin de la fenêtre
étire ses pattes feuillues, comme
un félin élastique qui sort de sa sieste.
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La radio débite un tam-tam sur lequel
plane une voix sirupeuse et vulgaire.
Est-il concevable que sur les façades
un matin d'octobre puisse jeter tant de jour
que le papier blanc devant moi s'en éclaire !
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Ah, si mon esprit pouvait déployer son aile
lui-aussi, dans la lumière ; quitter la douleur
inexplicable qui le pétrifie dès l'aurore,
forçant à ramper l'encre de ma pointe d'or,
tel un serpent incapable d'achever sa mue.




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Mauvaise herbe...
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Que n'ai-je su te mieux protéger, ô lumière natale, sous la cendre argentée de mes souvenirs, par mes vers claudicants ! Telle une maison perdue dans les brumes entremêlées aux forêts rousses de septembre, tu t'attardes au pic de la colline ainsi qu'à la pointe d'une aile de chérubin, mal caché derrière un buisson de nuages.
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Vieilles malles de fer pleines de livres, objets dispersés, tableaux entreposés depuis des années dans le noir des caves, valises de lettres passionnées écrites par des gens disparus, certaines encore parfumées par les mains délicates du passé. (Resurgit l'image d'une fille à l'âme étrange, prunelles de cristal et songes esseulés.)
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Tant d'années, le regard tourné vers la profusion d'horizons intérieurs, vers la part de désirs secrets les plus inassouvis, les plus irréalisables ! Tant de pauvres années, que leur propre richesse dépouillait jusqu'à l'ascétisme, avec un pauvre amour incapable de restituer aux êtres et aux choses la chaleur que tu en recevais…
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Et la vérité de tes mots était incapable d'ajouter à celle de vivre, exactement comme le tissage des fils alignés depuis l'ensouple n'ajoute rien à la tiédeur de la laine, n'offrant au mieux qu'un motif pour amuser l'oeil de celui qui revêtira le poncho achevé ; et tu sentais dans un recoin de ton âme tes peines pousser comme des orties.


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Un brin vert dans le vent
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Le long du mur le vent secoue la bourrache noircie par les relents des tuyaux d’échappement. Elle a poussé dans la fissure entre bitume et béton, et sa présence me fait méditer sur la force de la Nature que certains jugent un concept désuet.
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Sous les pavés, clamais-je autrefois, la plage ! Sous le bitume, la terre des champs, qui était là dès l’origine, et non un lit de sable déversé pour agencer des cubes de pierre… La terre sans artifice, la terre de mes morts, la terre sous la dalle aux chers noms.
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Qu’importe que l’on trafique des clones, qu’on détecte de l’eau saumâtre sur Mars ou du méthane sur Titan ! Qu’importent les robots, les immeubles, les produits chimiques et les médicaments, ou que l’on recouvre le monde avec la table de Mendeleïev !
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Le Nature est là. Trafiquée ou cachée, mais ses lois invisibles règnent toujours. Elle les impose à la technique, explose à la figure des humains qui prétendent jouer avec, ou négliger ses règles dans des centrales atomiques nonchalamment bâties.
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La vie elle-même n’est pas son souci, ni la nôtre ni celle des dinosaures, ni des trilobites ni des premières éponges. Que nous disparaissions, elle aura encore quelques millions d’années pour reprendre le cheminement des insectes, par nous perturbé !

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Jardin de l'Upiane, été 2015.
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Les coccinelles, avec leurs points de côté, naissent-elles dans les coquelicots ? En tout cas, par le même processus que mon amour pour toi, l'aurore éblouie prend sa source dans la nudité d'une rose…
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Ainsi la lumière, qui n'existe pas seule, vient se recueillir en la translucide splendeur des pétales, donnant leçon à la langue de mon pays pour se découvrir poème écrit sur l'épair d'une feuille blanche !
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Les millions d'aiguilles des pins désignent le soleil neuf : il ménage encore le silence de l'écureuil, qui les mains jointes prie un instant au bord de sa branche, attendant qu'un geai de service donne le signal.
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Une tasse de thé à la bergamote en main, je m'appuie à la rambarde sidérale toute pénétrée de nuit et d'humidité lunaire, qu'en face de moi l'olivier, une larme à chaque petite feuille d'argent, semble regretter.
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Au-delà du toit de la maison, sur le faîte de la colline un haut cyprès rassemble son troupeau de nuages, le dirige vers l'abri de la forêt proche, délogeant des volées de tourterelles aux ventres roses.
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Partout et toujours
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Ce qui te console de ce que tu es, réside en le don que tu as reçu d'apercevoir au revers du feuillage vert de la vie, la face d'argent que n'atteint point la lumière, excepté de ton propre regard.
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Lunaire, lorsque sort de son trou le crabe dans la nuit claire dont s'est retirée la marée, il ne se soucie pas de la face cachée, site où fermente l'avenir. Il ne cherche qu'à se rassasier de ce qu'il a vu en rêve.
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Sur le miroir de la source, la transparence renouvelle sans cesse des images identiques et neuves à la fois, à la faveur d'un oiseau venu y rincer une aile, puis l'autre, ou de la brasse spasmodique d'un batracien. Ô Mémoire !
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L'escargot le long d'un sarment étire son chemin de salive argentée. Sur le dos de son pied, une spire qui reste infinie et qui lui sert de refuge où résorber ses yeux souples, son talon en dentelle et son museau de chat.
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Une tendance maladive à tout mettre en paroles, à chercher l'analogie et le comparable, à fusionner le patent et le latent, l'évident et l'inaperçu, le sensible et l'ineffable : est-tu seul à souffrir de ce genre de folie ?
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À quatre temps
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Prospecter ta langue pour, d'entre des strates de mots hasardeusement mitoyens, extraire quelques grammes d'un mercure poétique à transmuter en songerie de silence massif.
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L'athanor des années : toi-même, en ton corps charnel, embrasé de désir pour l'énigme du Chaos à la manière de l'étoile du matin pour la corne orientale de la forêt, drapée dans ses nacres.
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Il faut une oreille fine comme antenne de fourmi pour saisir le bruissement des feuilles que compulse la brise, l'aveu de la rose au nuage arroseur, le brame du lucane dans l'herbe automnale.
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Fleur d'arum au pistil sucré, l'abeille t'émoustille, le bourdon te murmure des choses inavouables, la grenouillette squatte ton cornet plein de rosée. Trois fidèles assidus de l'Immaculée !
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Lointaine étoile...
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Lointaine étoile aux cheveux bleus, seule au firmament dont l'ombre n'est pas encore dissipée, je te revois chaque matin veillant auprès du peuplier figé par le froid de la nuit.
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Assis face à la fenêtre, mal éveillé, les mains sur les genoux, vers toi je dirige des pensers amicaux, me disant que jamais tu ne sauras quelle sympathie j'avais pour ton clignement.
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Comme toi, je porte ma croix de lumière tremblotante au sein d'un espace que rien ne borne excepté la ligne opaque, inégale et fantasmagorique des toits de la ville qui cernent le jardin.
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Il m'est arrivé d'avoir des amis, longtemps, longtemps, qui l'un après l'autre se sont discrètement tus, aussi discrètement qu'à l'église une chandelle qui fume et s'épuise au milieu de mille cierges votifs.
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Ils étaient la meilleure part de moi-même. Le destin qui m'en a amputé ne mériterait pas que j'aie encore estime et respect pour cette vie, n'était Ezra, étincelant lutin dansant dans mon vieux coeur !






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Ondoyant octobre
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Marche, marche seul dans le chuintant automne
qui soulève à tes pieds des plaques de couleur,
les unes en forme de carte de France, d'autres
en forme de coeur, découvrant les pavés du square…
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Ce dont le temps te prive, l'écho rythmé de ton pas
l'éveille. Ce sont les yeux clairs et l'élan soyeux
d'une blondeur, de l'une à l'autre épaule balancée,
tandis qu'en retrait tu t'efforçais de la suivre.
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La muse impavide à travers le labyrinthe de la ville
taillait la route, avec sa souveraine force, digne d'une
étrave défonçant la mer figée sous l'empire du rêve.
C'était alors l'été, l'éternel été aux mimosas fleuris.
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Janus bifrons
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Du domaine des libres frégates au vol aigu
régnant sur la courbe indigo de l'horizon,
je scruterais les cinquante claviers d'écume
sur lesquels les néréïdes font des gammes
la nuit en présence de la Lune, présidant
l'inflexible jury du Grand Prix des Étoiles,
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si du moins je savais gravir les marches
musicales de l'été, lorsque tôt le soleil
ouvre la route de l'azur parmi les brumes
évanouies dans le bonheur de sa lumière…
Car c'est le poème des météores à présent
dont, réitéré, l'air m'émeut le plus souvent !
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Je sais les parfums et les obsessions, les rocs
et les langueurs, les puissances farouches,
les fureurs limpides qui hantent les rivages.
Tandis que nous nous adonnons à des conflits
mesquins, gambadons sur des volcans, je sais
les rancoeurs d'une Terre qu'on a trop narguée.






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Rêve littéraire
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La nappe où viennent licher les loups, voilà ce qu’environné du sombre frisson des mélèzes, j’eusse voulu que fût mon poème…
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À voix de fauvette, épilobe et liseron y dialogueraient par-dessus les ajoncs aux longs cils vert-jade.
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Les seins de la colline y gonfleraient le sweater d’une prairie de pâquerettes. Bruyère en feu à l’endroit du coeur.
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L’entier décor terrestre y serait embaumé - ambre gris, musc et menthe -, d’atmosphère érotique, comme si l’on y respirait la quintessence du Désir.
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En famille
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Le mistral à Cabriès émondait les plus faibles
feuilles des platanes de la cour.
Ceux qui toute la nuit dans leurs ramures
abritaient les vocalises de ces rossignols d'août, capables
comme à Platrès d'empêcher de dormir les hôtes de passage…
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Au matin, la mer au loin dépouillait ses hardes vaporeuses
que les oiseaux de mer, du bec, dépliaient et suspendaient
au cordon de l'horizon pour qu'elles sèchent au soleil.
Leur merveilleuse senteur d'humidité iodée
enveloppait la butte où était la maison
de nos cousins. Les volets battaient en claquant.
Une poussière d'or tourbillonnait dans les chambres.
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À ce signal, d'un coup resplendissait sur l'eau
la dernière bourrasque dépolie qui donnait à la mer
un aspect de tôle en zinc galvanisé rappelant
celui des anciennes lessiveuses. Qu'elles aient
disparu n'empêche pourtant pas les flots d'aujourd'hui
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de bouillir et d'écumer en lessivant mes souvenirs !



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Sous la pluie
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J'ai promené le petit Ezra sous la pluie,
bien abrité, bien couvert d'un petit manteau neuf.
Nous avons ri et chantonné ensemble et claqué
en secret nos pieds dans les petites flaques du trottoir.
Ses éclats de rires malicieux entérinent notre complicité.
Sa petite main confiante dans la mienne.
Son visage levé qui me regarde avec les yeux « champagne » !
Comment est-ce possible, cet amour tout neuf ?
Moi qui n'attendais plus rien de la vie !





Vif comme un feu follet
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Qu’on ait laissé l’essence d’une vie en une traîne infinie de poèmes sur la page qui n’a pas d’aile, est-ce mauvaise ou bonne action ?
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En nous s’interroge un Robinson, en imprimant sur la plage sinueuse une ligne de pas nus aux franges de la mer
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dont la nappe de sel transparent, trop courte, écume d’être impuissante à rendre au sable sa virginité.
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La réponse viendra-t-elle du bambin qui trottine jusqu’à l’eau, rafraîchir en nous une joie de vivre patinée par les années ?
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Il emporte le soleil au parfum de citron, se jette dans les bras d’une vague puis d’une personne aimée, mêlant ses cris à ceux des mouettes.
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Ensuite il s’accroupit, enfonce les doigts dans la fine lise dorée, qu’il pétrit un moment en se bredouillant des choses à lui-même.
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Pour finir l’enfant dénoue sa main et laisse un voile de sable filtrer au vent avec lenteur pour éprouver son intuition du temps…
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Ezra muet
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Parfois, d'humeur câline au réveil, Ezra, en un mutisme souriant tu t'enfermes, lèvres obstinément closes.
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Ta mine est drôle, on dirait une carpe qui aurait, à la surface de l'étang, gobé une luciole et la retient dans sa bouche.
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Si l'on insiste, un « non » énergique secoue ta tête, que tu blottis au creux d'une épaule accueillante, toujours proche.
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On n'entendra point ta voix égayer la chambre d'ici le petit déjeuner, sauf à te proposer une irrésistible langue-de-chat au chocolat !







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Ezra en visite
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Sous les volutes des vapeurs d'automne, les croix noires d'une troupe de corbeaux dessinent un cimetière inversé. Les courants de l'air propagent un pollen de feu, lâché par le soleil pâle du haut du terte aux cyprès.
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Bien entendu, c'est un endroit où je ne suis plus. L'image seule s'affiche sous mon front, tandis que je ronchonne à l'envi contre les frissons pluvieux qui animent rues et trottoirs, contre la grisaille des façades et contre la ville en général.
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Il me semble que mon bureau est jonché de tout ce qui manque à mes poèmes pour susciter une réponse du réel. Le silence de l'Astragalizonte attend que je lui donne la parole, ainsi que les autres statuette sur l'étagère qui me fait face.
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Pauvres objets délaissés, qu'efface instantanément la présence du lutin Ezra, sitôt qu'il apparaît, avec ses quinze mois, son sourire ensorceleur, ses petits pantalons orange, et son pied suspendu, à demi-plié, lorsqu'il s'élance en trottinette à travers l'appartement !






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Ezra construit son monde
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Lorsque je le promène en poussette, Ezra parfois se met à glousser et chantonner dans une langue inconnue, analogue à celle des ruisseaux et des sources.
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De temps en temps je me penche pour l'observer. Petite bouche arrondie, Ronsard eût dit « mignarde et vermeillette », il raconte, raconte, le regard loin devant nous, fixé sur un songe.
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Soudain, il prend conscience que je l'observe, se tourne vers moi et me décoche ce sourire solaire face auquel le plus glacé des vieux coeurs ne saurait se retenir de fondre.
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Au jardin public, nous longeons des haies de buis ; le nez du bambin se fronce à cause de l'odeur d'urine que dégage leur feuillage. Je fais semblant de me pincer le nez. L'enfant m'imite.
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Le geste lui semble amusant, voici qu'il le repro
duit devant tous les végétaux du square, en me consultant du regard. Je l'imite à mon tour, bien sûr, pour son bonheur.
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Puis, passé le portail grillagé, nous débouchons dans l'avenue et le chantonnement reprend, m'excluant de la songerie qu'éveille en son jeune cerveau ce monde inconnu que je lui fais découvrir.


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Terra incognita
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Le sens des choses, à la faveur du dire, vaste empire, l'explorer sans renoncer aux qualités simples de notre langue maternelle.
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Un pied sur la Terre, un pied sur le miroir du rêve. Entre les deux le fil de l'horizon intérieur, à suivre pour en équilibre, avancer.
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À la fin, poètes, nous tomberons, mortels entre les mortels, mais à la façon des pétales purs du printemps, une fois les fleurs fécondées.
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Ce que confie la poésie, lorsqu'elle délivre son entière et singulière vérité,
sera par chacun reconnaissable comme intimement sien.


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